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REVUE
DEUX MONDES
XXXVII' ANNÉF. — SECONDE PÉRIODE
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REVUE
DEUX MONDES
XX XVII' ANNÉF. - SECONDE PÉRIODE
s fcx»n. — I" nodiiBRE 1807,
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REVUE
DEUX MONDES
XXXVII' ANNÉE. — SECONDE PÉRIODE
TOME SOIXANTE-DOUZIÈME
PARIS
BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES
>UB BONAPARTE, 17
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L'ALLEMAGNE
DEPUIS LA GIEBUE DE 1866
IV.
LE MOUVEMENT UNITAIRE ET LA CONFÉDÉRATION DU NORD.
La dissolution de la diète germanique, rétablissement d'une con- fédëiatiOD du nord de l'Allemagne que*la Prusse dirige et dont l'Au- triche est exclue, l'annexion du Hanovre, de la Hesse et du Nassau au territoire prussien, tous ces changemens si grands et si brus- ques se sont produits aux yeux de l'Europe stupéfaite comme des combinaisous bâtives, improvisées en un jour de victoire, et cepen- daat ils ont été prédits, il y a plusieurs années déjà , de la façon la plus précise. Dans un écrit publié en 1861, M. Heinrich von Sybel disait : a Aussi certainement que les rivières coulent vers la mer, il se formera en Allemagne, à côté de l'Autriche, une fédération restreinte sous la direction de la Prusse. Pour y arriver, on aura recours à tous les moyens de la persuasion et de la diplomatie, môme à la guerre en cas de résistance (1). » Par quel don de pro- phétie l'historien a-t-il pu annoncer ainsi les événemens à l'a- vance? C'est qu'ils étaient la conséquence d'un enchaînement de faits où l'on peut voir se dérouler cette logique de l'histoire qu'on appellerait volontiers loi providentielle, si l'ambition humùne n'y
(I] Voyei )» irè( instinctive étude intilutée la Nation aiUmande et ('Empire {Die dmticlu Xalion und rfai KaUtmich.)
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REVUE DES DEUX MONDES.
avait une si grande part. Celui qui connaîtrait bien toutes les forces que le passé a engendrées pourrait aussi prévoir les résultats qu'elles vont produire dans l'avenir. C'est pour ce motif que l'étude de l'histoire est l'école des hommes d'état, et qu'on voit souvent des historiens devenir ministres et des ministres se faire historiens. Quelles sont donc les causes qui ont amené les transformations récentes que nous avons vues s'accomplir de l'autre côté du Rhin? quels principes a consacrés la constitution de la confédération du nord de l'Allemagne? cette constitution est-elle le couronnement de l'édifice de la nationalité germanique, ou bien l'ancienne con- fédération se reconstituera-t-elle sous yne forme plus appropriée aux vœux populaires et aux besoins de l'époque, mais embrassant comme l'autre toutes les tribus delà race teutonne? Voilà les points que nous allons examiner.
I.
La cause du mouvement qui emporte maintenant l'Allemagne peut se délînir d'un mot, c'est la passion de l'unité. A cette ex- pression assez vague, voici le sens qu'il faut attacher. Les Allemands se sentaient unis par la langue, par l'origine, par la littérature, par la possession d'un territoire contigu, par les souvenirs de l'antique empire germanique, enfin par tout ce qui peut créer une natio- nalité compacte, et cependant ils n'étaient point parvenus à consti- tuer un état avec un pouvoir central assez fort pour empêcher les guerres intestines, pour défendre la patrie commune contre l'é- tranger, pour favoriser le développement des forces matérielles et morales qui portent un peuple au degré de prospérité et de puis- sance auquel il peut atteindre. Ils se voyaient entourés de deux na- tions fortement centralisées, la Russie et la France. A côté d'eux, en Suisse trois races diverses, en Autriche dix nationalités, étaient reliées par une autorité unique, tandis qu'en Allemagne une natio- nalité unique était divisée en trente-trois états difFérens et souvent hostiles. Là, le pouvoir maintenait la paix et commandait à toutes les forces du pays, et l'Allemagne n'avait pour organe de ses intérêts communs qu'une assemblée assez forte pour arrêter tout progrès, trop faible pour se faire obéir, livrée aux tiralllemens incessans des rivalités dynastiques, refuge des idées arriérées, débris du moyen âge plus débile que l'institution gothique dont elle était la copie, objet enfin de dérision pour ceux même qui la soutenaient, c'est-à- dire la haute diHe de la sérémssime confédération germanique, L'Allemagne se croyait semblable, parmi les autres états, à un vail- lant équipage naviguant sur un radeau formé de vieilles poutres à
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t ALLEUAGNB DEPUIS LA GUEBAE. 7
moitié pourries et toujours prêtes à se disjoindre, au milieu d'une acadre de vaisseaux cuirassés obéissaut à la maia d'un pilote unique et pouvant couler à chaque instant la lourde épave. L'idée de leur impuiasance inspirât aux fiers descendans de Teutcli un sentiment d'bumiliatioD, une irritation sourde qui se tournât assez vite en one sorte d'animosité maussade contre les autres peuples. La sîtua^ tion leur paraiss^t intolérable. Les gens soi-disant pratiques vou- laient une monarchie unitaire, formée par l'annexion des petites principautés à la couronne prussienne, les exaltés rêvaient l'éta- blissement d'une république pangermanique, les modérés se coq- leoiaient de demander que le lien fédéral fût fortifié par suite d'une entente amicale entre ces deux frères ennemis, la Prusse et l'Au- triche. La plupart se bornaient à discourir, à boire et à chanter 60 l'honneur de la grande patrie allemande, en répétant le lied d'Amdt Was ùt des Deutschen Vaterland, mais sans donner à leurs aspirations patriotiques une forme précise. Divisés jusqu'à la fureur sar la constitution à adopter et sur les moyens d'y arriver, ils étaient d'accord sur le but tant qu'ils n'essayaient pas de le déterminer; tons voulaient l'unité et tous en parlaient, depuis les souverûus dans leurs harangues officielles jusqu'aux philistins dans leurs lon- gues séaaces nocturnes au btersdienke (caJiaret), ce forum enfumé de la bourgeoisie d' outre-Rhin. Le mot d'ordre était une antithèse dont il vaut la peine que l'on approfondisse le sens : plus de fédé- ration d'états {Staatenbund), maïs un état fédératlf (Bundesstaat). Les Allemands voulaient l'unité surtout pour deux raisons, dont l'une me parait très creuse et l'autre très sérieuse. Malheureuse- meot, il faut l'avouer, la première a exercé et exerce peut-être en- core plus d'empire que la seconde. Cette raison, la voici. Les Alle- mands se considèrent comme la branche la plus pure, la plus noble de la noble race aryenne, et ils trouvent que leur pays ne fait pas dans le monde la figure qui convient à une si haute origine. Ils as- pirent à devenir un grand état, ayant une grande flotte, une in- nombrable armée, jouissant d'une influence considérable et en me- sure d'acquérir beaucoup de gloire. Or il n'y a pas un seul de ces vœux qui n'aboutisse à une déception. Ce n'est pas au chiffre de la population ni à l'étendue du territoire que se mesurent le bonheur, l'éclat, les lumières, et les états les plus vastes sont souvent les plus déchirés et les moins libres. La Judée, ce coin de cailloux brû- lés, comme dit Voiture, et Athènes, cette bourgade peuplée de 20,000 hommes libres, n'ont-elles pas fait incomparablement plus pour la civilisation que l'empire des satrapes ou celui des césars? El en Allemagne même quel foyer de vie intellectuelle que Weimar, ce duché mioroflcopique! quelles sources de science que Gottingue,
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Heidelberg, Tubîngue, ces grandes universités de petits états! Exer- cer de l'influeDcet prétention inique des forts d'imposer leur vo- lonté aui faibles, système d'intervention ausà funeste i celui qui le pratique qu'à celui qui en est la victime. Notre inQuence est compromise, s'écrie la diplomatie avec désespoir : tant mieux, car la seule profitable à tous est celle qui résulte de l'exemple d'un bon gouvernement et d'institutions libres. Les pays oCi l'expérience sert à quelque chose, comme l'Angleterre, commencent à le com- prendre. Les petits états sans rôle politique à l'extérieur sont les plus heureux, car ils n'ont à s'occuper que d'eux-mêmes et ne peu- vent nuire aux autres. Sur la surface de notre pauvre planète toute trempée de sang et de larmes, est-il des contrées plus fortunées, plus prospères que la Belgique et la Suisse, ces petites oasis de liberté et de paix où les proscrits des grands empires trouvent tour à tour un asile? Une puissante flotte de guerrel Que l'Alle- magne, hantée depuis 18A8 par la manie d'en avoir une, considère l'Union américdne, qui vend tous ses vaisseaux cuirassés à la France, au Japon, à la Russie, à tous ceux qui veulent lui en ache- ter, elle qui a pourtant à protéger la marine marchande la plus considérable de l'univers. Et la gloire I ce vain mot qui a fait tom- ber tant de générations humaines sous le fer des capitaines habiles et des conquérans illustres, faut-il que la patrie de Kant se mette à poursuivre cette sanglante chimère au moment où les autres na- tions arrivent à en reconnaître la vanité? Oui, heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire et ceux dont les souverains ne portent pas de lauriers au front sur l'efUgie de leurs monnaies ! Ces aspirations que nous venons de combattre ne sont que des bouffées d'ambition malsaine, écluses dans cette atmosphère d'idées politiques arrié- rées qui a si longtemps pesé sur l'Allemagne. Elles se dissiperont, elles se dissipent déjà, devant le courant d'idées justes que le XIX* siècle a le mérite d'avoir vulgarisées, et qui font voir que la vraie gloire consiste à faire régner au profit de tous le bien-être et la justice.
La seconde raison qui pousse les Allemands à vouloir l'unité est d'une tout autre nature. Ils désirent ne plus être forcés à se battre les uns contre les autres au profit de leurs souverains ou de l'étran- ger. Tandis qu'en Angleterre, en Espagne, en France, à peu près partout en Europe, les luttes intestines de province à province suscitées par les grands vasdaux s'apaisaient vers le xvi* siècle, à l'époque où la royauté moderne s'alTermit, la guerre civile en Allemagne continua jusqu'à nos jours, tantôt pour cause de reli- gion, tantôt par suite de rivalités dynastiques, toujours faute d'un pouvoir central assez fort pour imposer à tous le respect d'une dé-
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L ALLEMAGNE DEPUIS LA GUERRE. 9
ciàoQ suprême. Les pays voisins, la Suède, la France, la Russie, sont iDtervenus tour à tour dans ces dissensions intérieures, appelés par l'un ou l'autre souverain en quête d'alliances. Bien n'est plus naturel ; un prince préférera toujours l'étranger qui le protège au compatriote qui le menace. Donnez un roi à l'Irlande ou à l'Ecosse, et il bénira une invasion américaine, si elle lui assure une province de plus. L'homme est ainsi fait, même sur le trône c'est un être égoïste; TOUS ne ferez jamais qu'il ne sacrifie sans hésiter la théotie des nationalités à l'intérêt de sa couronne. C'est précisément pour ce motif que les Allemands veulent soustraire les vingt-neuf sou- verainetés qui leur restent à de dangereuses tentations en insti- toant un état fédératif assez puissant pour enlever à chacune d'elles le pouvoir d'attaquer les autres. Sans admirer en tout la France, ib la trouvent cependant bien heureuse de n'avoir plus à craindre que le préfet de la Gironde déclare la guerre au préfet des Basses- Alpes, l'un livrant Bordeaux aux Anglùs et l'autre Nice aux Italiens pour prix d'un secours en hommes ou en argent. Ce qu'ils de- mandent donc, c'est de ne plus être forcés de s'entr'égorger dans les plaines de la Saxe ou de la Franconie, et ce vœu paraît assez natnrel. L'idée seule que les jours de la guerre de trente ans ou de la confédération du Rhin pourraient revenir transporte de fureur les plus placides (1). C'estpour cela que la constitution de la con- fédération du nord, quelque imparfaite qu'elle puisse paraître, a été saluée comme une première garantie de paix à l'intérieur et de sécurité à l'extérieur.
Mais, objectera-t-on, si l'Allemagne est restée divisée en un grand nombre d'états, c'est apparemment que le caractère de la nation ne se prêtait pas à. constituer un empire unitaire. Les Alle- mands se vantent d'avoir apporté au monde moderne le principe de l'indépendance individuelle, ce que l'on nomme Vindividua-
(l) Je ne puis mieui Taire comprendre ces senlimens qu'en citant un extrait d'une lettre de U. Schulte-DeliUch. le pacifique fondateur des banques populaires. • Kous •«niDe», dit-il, doui autres Allemands, le plus paisible des peuples citiliséa. Des dis- KUioD» iatMeures nous ont min dernièrement les armes A la mBia. mais c'éuit contre une partie da nos frères, non contre des peuples voisins que personne ne songe A loqniéter. Le sentiment Datlonal a pris chez noua une telle force que nous ne soulTri- rwi plus à aucun prîi l'ingÉrence étrangère. Une histoire lamentable de plusieurs BiclM de déchirement, d'impuissance et de honte est Ik comme un BTenissement sou« Ma jtoi. D^Dlt lu tarribloi guerriia de TelIglaD des tti* et xvit* siffles Jusqu'aux ompignea mifluilea du iireinicr empirUi iirosquc toutes lus gi'undes luttes euro- ptaioes se sont ridées sur notre sol et ont fait de notre patrie un désert. Pour empè- dier le retour de semblables calamitiïs , nous nous lèverions tous comme un seul ImiiiDe. Dn parti politique qui se laisserait seulement suspecter d'une apparence d'bS ^■■tieo sur ce point serait perdu pour toujours. ■ On croirait lire ta bcrnière circu- lAire de H. de Bisinarct.
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lismc, par opposition au principe de l'autorité venu de Rome. Ils sont pariicularistes, comme on dit là-bas, et ils ont fait une Alle- magne conforme à leurs instincts. Ce n'est donc que par la force qu'on parviendra à les réunir sous une autorité unique, et bientôt ils retourneront à ces souverainetés multiples qui correspondent seules à leurs traditions et à leurs goûts.
Est-ce en elTet le génie national ou bien les circonstances qui ont empêché la formation d'un grand royaume allemand? 11 est impor- tant d'éclaircir ce point, car, s'il était éclairci, 11 permettrait de pré- voir les événemens que l'avenir amènera.
Les tribus germaniques, quand elles apparaissent dans l'histoire, forment une des races les plus tranchées de l'espèce humaine. Elles ont toutes les mêmes caractères physiques, la peau blanche, l'œil bleu, les cheveux blonds, les mêmes usages, les mêmes croyances religieuses, les mêmes mythes; mais, répandues dans l'empire ro- mùn lors des grandes invasions, elles se mêlent aux vaincus : ce n'est qu'au-delà du Rhin qu'elles se conservent pures. Dépourvu de l'administration savante et des armées régulières qui permirent à Rome de soumettre l'univers à sa loi, l'empire de Gharlemagne embrassait trop de peuples divers pour durer. C'est seulement sous Louis le Germanique que s'établit un royaume qui correspond à peu près à l'Allemagne actuelle. Avec les premieis princes de la ligne saxonne commence un travail de fusion et d'unillcation qui sem- blât devoir aboutir à la formation d'une nation et d'un état vrtû- ment allemands. Pour y arriver, il sufOs^t de soumettre les grands vassaux, et l'empereur pouvait compter sur deux alliés prêts à le seconder, le clergé d'une part et de l'autre la chevalerie et la bourgeoisie naissante. Henri l'Oiseleur le comprit. En s'appuyant sur les forces bien organisées de son propre pays, il fit respecter partout son autorité, repoussa et vainquît les Slaves, — Wendes et Rohêmes, — et les Hongrois. L'ordre régnait, la population aug- mentait rapidement, l'industrie et le commerce fusaient de toutes parts surgir des villes nouvelles. L'Allemagne, au x' siècle, jouis- s^t d'une prospérité, d'une organisation, d'une unité inconnues ailleurs. Chose étrange, tandis que dans les autres pays le mouve- ment unitaire commence et se poursuit sans interruption, ici II s'arrête et semble même rétrograder. Ainsi en France les Capétiens forment leur royaume en réunissant sous leur pouvoir, par des ma- riages et des conquêtes, les races les plus diverses, Bretons, Pro- vençaux, Gascons, Flamands, Allemands même. En Allemagne au contr^re, le pouvoir central perd constamment de sa force jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un vain nom, planant majestueusement dans le vide sur une foule d'états réellement indépendans. D'où
L' ALLEMAGNE DEPUIS LA GUERBE. 11
vient ce contraste? Les empereurs allemands ont-ils donc eu moins de génie ou moins d'ambition que les roi3 de France ? Point du tout; mais les premiers poursuivirent une chimère funeste, et les seconds an but raisonnable. Si les empereurs n'ont pu d'une seule natio- nalité faire surgir un état unique, tandis que les rois de France constituaient un état avec des nationalités multiples, cela tient à deux causes : la première est que la couronne impériale éUdt élec- tive, la seconde qu'il s'y rattachait le rêve de l'empire universel, souvenir de la Rome antique renouvelé par Gharlemagne. Ces le- çons de l'histoire sont bonnes à recueillir.
Le chef de l'état peut être électif sans compromettre l'existence du pays, quand celui-ci est définitivement constitué et que les at- tributions du pouvoir exécutif sont bornées. C'est pour cela que les républiques de Rome, de Venise et des États-Unis ont duré, tandis que la. Pologne a succombé. Moins le chef de l'état a de puissance, moins il est dangereux de le faire élire. Quand le pouvoir est aux mains d'un conseil, comme en Suisse, le renouvellement se fait sans secousse. Quand il s'agit d'un président, comme aux Ëtats- Cnis, chaque élection produit une convulsion telle que les peuples européens ne voudraient pas en supporter de pareilles : aussi s'ef- force-t-on de restreindre son autorité; mais rendre électif un em- pereur, un roi, c'est conduire l'état à sa perte ou en empêcher la ïbrmatioD : le despotisme ou l'anarchie est inévitable. En Allemagne, c'est l'anarchie qui n'a point permis à l'état de naître. Les empe- reurs, pour assurer leur élection ou celle de leurs fils, ont consacré l'indépendance de leurs grands vassaux et celle des évoques, pré- parant à la fois le triomphe de l'église et le morcellement de l'empire.
Ui seconde cause de f^ûblesse, c'est le rêve de la monarchie uni- vei^lle, qui pousse successivement la ligne saxonne, la ligne sa- liqué, les HohenstautTen et enfin les Habsbourg à épuiser leurs forces pour sMsir l'Italie, qui leur échappe toujours. Cette vaine poursuite les a tous perdus et a ruiné môme l'Autriche contempo- raine. Il n'y a. point dans l'histoire de plus colossale application de la fable du chien qui lâche sa proie pour l'ombre. Ils voulaient faire une réalité de ce titre pompeux le saint empire romain, qui, comme on l'a dit, ne mérita jamais aucun de ces trois noms, n'étant ni romain, ni saint, ni même un véritable empire. Un empereur oniversel sous un pape universel, tel était l'idéal qui, en précipitant pendant huit cents ans l'Allemagne sur l'Italie, les a empêchées de se coDstituer en paix chacune sur son territoire. Solferino et Sa- doffa ayant brisé le nœud fatal qui les reliait l'une à l'autre pour leur commun malheur, les deux pays cherchent maintenant, cha- con de son cAté, une constitution appropriée à leurs besoins.
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12 REVUE DES DEUX MONDES.
Tandis que les empereurs, absorbés par leurs conquêtes au dehors, négligeaient d'accomplir au dedans l'œuvre unitaire que poursuivaient avec persévérance les autres souverains, la nation elle-même s'efforçait parfois d'établir l'ordre en créant un pouvoir central et un véritable état fédératif. De toutes ces tentatives de paix perpétuelle, nous ne citerons que le projet préconisé par la diète de 1490, parce qu'il a plus d'un rapport avec l'organisation réclamée encore aujourd'hui. 11 devait y avoir d'abord un tribunal suprême de l'empire, décidant les difficultés et maintenant la paix entre tous, ensuite un impôt général destiné à entretenir une armée impériale pour garantir la sécurité intérieure et extérieure, enfin une réunion annuelle de la diète et un comité permanent disposant de l'impôt et de l'armée pour le bien du pays. Maximilîen, au lieu d'exploiter ce mouvement au profit de son autorité, le fit avorter, afin de consacrer les forces allemandes à ses guerres d'influence et de conquête contre la France et l'Italie. Cette occasion perdue ne se retrouva plus. Les querelles de religion déchirèrent l'Allemagne et étouffërent tout esprit national. II n'y eut plus d'Allemands, il y eut des catholiques et des protestans préférant leurs coretigionniùres étrangers à. leurs compatriotes hérétiques. Après la paix de West- pbalie, l'indépendance des états particuliers et le patriotisme local allèrent s' accentuant de plus en plus jusqu'à la fin du xvm* siècle. Le corps germanique était définiUvement déchiré , et malheureuse- ment après la guerre de sept ans l'antagonisme de deux grandes puissances rivales s'établissait dans son sein, l'Autriche et la Prusse étant toujours prêtes à se disputer la suprématie l'épée à la main. C'est alors que Voiture dit : « La multiplicité des étals sert à tenir la balance jusqu'à ce qu'il se forme en Allemagne une puissance assez grande pour engloutir les autres. » Le patriotisme allemand, ce sentiment puissant qui a produit les événemens contemporains, était inconnu à cette époque. Frédéric II n'était pas patriote, il sa- vait à peine sa langue maternelle, dont il se moquait volontiers. Il n'aimait, n'admirait que les Français. Les grands écrivains dont les œuvres allaient donner aux Allemands l'unité d'une patrie in- tellectuelle n'étaient pas nationaux, ils étaient humanitaires; ils pensaient au progrès du genre humain plutôt qu'à celui de l'Alle- magne.
Le patriotisme est un beau sentiment, car il pousse l'homme à se sacrifier pour son pays; mais ce n'est pas un de ces instincts innés, éternels, comme celui de la famille; il n'a pas toujours existé, il n'exi3ter<i pas toujours. Quand an trouvera en tout pays même sé- curité, même liberté, mêmes di'oits, on considérera la terre entière comme sa patrie et tous les hommes comme des frères. Déjà main- tenant on tend au cosmopolitîtme. C'est une conséquence du chris-
LALLEH&GNE DEPUIS LA GUEBRE. 13
^anismei qui ne connaît que l'humaDÏté et la justice, et qui veut que la couiormité des doctrines l'emporte sur les liens du sang. « Ceux qui font la volonté de mon père sont mes frères, » sublime parole où l'oa a voulu voir une attaque à la Eajnille, et qui sera la base des sociétés futures. S'il faut aîmer par-dessus tout la justice* le jour où mon pays sera engagé dans une guerre inique, û me fau- dra souhaiter sa défaite. En Grèce, ce sentiment national qui unit toutes les familles de même origine et de même langue n'existait pas; mais le civisme était très exalté et prêt à tous les sacrifices, parce que, la cité succombant, le citoyen perdait tout, ses biens, sa vie ou aa moins sa liberté. Au moyen âge, on ne rencontre guère non plus le patrioUsme : les seigneurs ne connaissaient que leur intérêt, et les TÎlâdns, ayant à peine une famille, n'avaient point de patrie. C'est à la révolutioa que le sentiment national éclate en France comme une flamme. C'était l'amour d'un pays qui ventât d'assurer aux citoyens alEranchis la liberté et l'égalité : il se tourne en fureur patriotique quand les années étrangères francbissent la frontière, et il anime de ses feux ce chant proscrit depuis, qui alors décidait de la vic- toire; mais sous l'empire il .dégénère en orgueil militaire. Malgré l'ëclat de sa littérature , le peuple allemand était encore plongé à cette époque dans cette torpeur d'ancien ré^me que M"» de Staël a ^ bien décrite. L'humiliation de la défaite et la haine du joug napoléonien le réveillent. Pour combattre l'empire, Stein emprunte les armes de la révolution et alTranchit le peuple. Le Tugendbund, réunissant des citoyens de toutes les parties de l'Allemagne, leur inspire la même passion, la haine de l'étranger, et leur fait sentir qu'ils ont une patrie commune à défendre. Les discours de Fichte et les chants de Kômer, ces Marseillaises germaniques, enflamment le patriotisme. Ce sont les principes de la révolution française qui, accueillis à l'étranger, se dressent alors contre la France, qui les a désertés. Les peuples anciens croyaient aussi que, quand ils av^ent oSensé leurs dieux, ceux-ci passaient à l'ennemi et combattaient contre eox. Napoléon reconnut aussitôt son adversaire. En partant pour la lutte suprême de Leipzig, il fit mettre dans le Moniteur qu'il alMt a affranchir l'Allemagne de la démago^e, dont l'ennemi avait embrassé la cause. »
On s^t comment la swnte-alliance déçut les grandes espérances qu'avait éveillées « la guerre de délivrance » {Befreiunçskrieg); mus le sentiment national allemand dont Napoléon avait provoqué l'explosion ne devait plus s'éteindre. Metternich le comprima en vain; les univer^tés le systématisèrent et en firent une théorie, et la jeunesse l'entretint comme un feu sacré qu'elle insinua dans tous ' les cœurs. A la moindre occasion, il éclatait, comme lors des com- plications de 18&0, quand Becker entonna son chant patriotique : Sie
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soUen ikn nichl haben den freien deutscken Rkein, et que Musset improvisa la sanglante réplique : Nom t'avons eu votre Rhin allé- mand. A partir de iSàh, le seDtimeiit natioDal, rassuré du côté de l'étraDger, se tourna .vers les réformes intérieures, et attendit de l'institution d'une assemblée délibérante à Berlin la régénération de la patrie. L'avènement de Frédéric-Guillaume IV réveilla un mo- ment les anciennes espérances, et une fermentation inouie agita toute l'Allemagne (1). Après la déception nouvelle des états^géné- raux de 18&7, le besoin d'unité et de liberté trouva enfin en 1S&8 sa complète expression dans le parlement de Francfort, jailli spon- tanément des entrailles mêmes du peuple et réuni dans l'antique capitale de l'empire germanique. Tous les députés voulaient l'unité; mais comment la constituer? C'est sur cette question que se for- mèrent les deux partis qui se sont depuis lors disputé la préémi- nence. 11 importe de les faire connaître.
Le premier, le parti de la « Grande-Allemagne h {gross deutsck), présentait un programme d'une splendeur fùte pour enivrer k patriotisme tudesque : tous les pays allemands, y compris l'Au- triche, étant groupés sous la main de l'empereur, les autres posses- ^ons autrichiennes, la Hongrie, le Lombard- Vénitien, la Galicie, y étaient nécessairement rattachées, et alors se formait au centre de l'Europe un formidable empire de 70 millions dliabitaDS, occupant le nord de l'Italie et la Toscane et disposant à son gré du reste de la péninsule, absorbant le Danemark par le Slesvig-Holstein, les provinces danubiennes au moyen des Valaques de 1^ Transylvanie, et les Slaves de la Turquie par leurs compatriotes de la Croatie et du Banal, régnant ain^ d'un c6té sur la Baltique et la Mer du Nord, de l'autre sur la Méditerranée et la Mer-Noire , dominant de haut la France par le chiffre de sa population, la Russie par l'industrie, la richesse, la culture intellectuelle, réalisant enfin le rêve ma- gnifique des Othon , des HohenstauiTen et des Habsbourg. L'autre parti, celui de l'Allemagne restreinte {klein deutsck), repoussfût ce plan si séduisant, parce qu'il croyait que l'hostilité désespérée de la Prusse le ferùt échouer. Il se rattachait au contraire à cette puis- sance, et groupait sous son hégémonie, en un faisceau étroitement uni, tous les états allemands, sauf l'Autriche. Celle-ci, il fallût bien l'exclure de la patrie commune, car jamais elle ne se serût soumise à sa rivale. On aurait perpétué le dualisme, et l'unité de direction, — il ne s'agissMt, bien entendu, que de celle-là, — aurait été im-
Au parlement de Francfort, la lutte entre les deux partis fut pas-
(1) H rtnt relire lei articles d« H. Alei*odre Thomas dans la Annw pour compraadra co monTSment, qui prépuait le* éréaeaieas dt 1U8.
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sionoée et douloureuse, car i] devait en coûter beaucoup à ceux qui préteodaient fonder enfin la nation allemande de repousser les pro- vinces si esseutiellement atlemandes de l'Autriche, et, au moment de reconstituer le corps germanique, il était dur de lui amputer un de ses principaux membres. Aussi quand le poète Arndt, le chantre de la grande patrie, eut émis son vote, il tomba évanoui sur son banc (1). L'éloquence et l'autorité de M. Henri de Gagem firent enfin pencher là balance longtemps incertùne en faveur de l'Allemagne restreinte. L'assemblée adopta à une forte majorité l'article sui- vant, qui de fait excluwt l'Autriche : « Aucune partie de l'empire ne ponrra Être réunie en un seul état avec des pays non allemands. » On voit d'où date l'article iv de la paix de Prague.
Pour faire comprendre le mouvement unitaire actuel, il faut rap- peler en quelques mots les brusques péripides de l'année iSEtO, car c'est de là que sont sortis les événemens de 1866. Le parlement de Francfort offrit, on s'en souvient, la couronne impériale héréditaire ao roi de Prusse; mus, quoiqu'il eût promis au peuple soulevé d'être 1 le roi allemand u et que l'agrandissement de son pays fût la con- stante ambition de sa vie, Frédéric-Guillaume n'osa pas accepter. Orateur éloquent, poète mystique, il n'était pas homme d'action; l'esprit était brillant, mus la volonté faible. Dominé par des idées d'anâen régime que les insurrections de Berlin venaient de raviver en lui, il ne voulait pas pactiser avec « la révolution; » il savait d'ùlleurs qu'il n'aurait pu conserver la couronne impériale qu'au prix d'une guerre avec l'Autriche appuyée sur la Russie. Toutefois il essaya de reprendre l'œuvre de l'unité en lui donnant une tour- nure moins révolutionnaire. Il voulait constituer « une Allemagne restreinte n en faisant accepter sa suzerîûneté par les petits états. A cet effet, il conclut le 26 mai 1849 un traité avec les rois de Ha- novre et de Saxe, puis, s'appuyant sur les hommes du parti de Gotha, c'est-à-dire sur les députés modérés du parlement de Franc- fort, déjà dissous, U convoqua un autre parlement à Erfurt. Fré- déric-Guillaume suivait alors les conseils du général von Badowitz, écrivain distingué et érudil, esprit élevé, homme d'état philosophe, patriote ardent , aspirant à bâtir une Allemagne glorieuse sur la base solide de la monarchie prussienne, mais aveuglé évidemment SOT les difficultés presque insurmontables que présentait l'œuvre à laquelle il s'était dévoué, et incapable de les surmonter. Il voulait donner l'hégémonie à la Prusse sans l'appui de la révolution et sans
{<) H. Sdat-Bené Taillandier s Toeonté ces scènes avec une gnoie ngtcité et une TTtie étoqoeiiM (voyeiles n" des 1"' Juin, 1"' Juillet, l^soùt et 1" octobre IStO). On ■e peut remuer cei ceodres d'un passé »i rapproché mds Être ému, en penunt i llnoendie qui en «st sorti.
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la guerre avec l'Autriche. C'était marcher à un inévitable échec. L'Autriche avait été paralysée jusqu'à la ûd de 18A9 par le soulève- ment de l'Italie et de la Hongrie; mais, celle-ci domptée, elle rentra en scène avec une prodi^euse vigueur. Elle était conduite par le princejde Schwarzenberg, homme aux décisions promptes, à l'exé- cution rapide, tout l'opposé de Radowitz et de son roi. Il isola d'a- bord la Prusse en détachant d'elle la Saxe et le Hanovre. Quand les princes avaient eu peur de la révolution, ils s'étaient appuyés sur la Prusse; maintenant qu'ils avaient plus peur de la Prusse que de la révolution, ils se retournaient vers leur chef de file naturel, vers le vr^ représentant de l'esprit conservateur, l'Autriche. Le parlement d'Erlurt avorta, car Frédéric-Guillaume prit peur de son œuvre, et se hâta de clore la session le 29 avril. Ou touchait aux limites du ridicule. Schwarzenberg.Jui, n'hésite pas, il marche bravement sur ses adversaires; il propose de ressusciter l'ancienne diète, et même il prétend faire entrer dans la confédération tous ses peuples, hon- grois, slaves, roumains, intimement associés par une constitution unitaire. Il parvient k grouper autour de lui les souverains du sud, et^én octobre à Bregenz les rois de Bavière et de Wurtemberg boi- vent au succès des armes autrichiennes. II va ensuite à Varsovie demander le satisfecit de l'empereur Nicolas, le sauveur de l'Au- triche, l'Agamemnon devant qui tremblaient alors tous les potentats de l'Allemagne, grands et petits. Schwarzenberg se plaisait à dire de ces mots vifs qui peignent une situation. Il s'écria, dit-on : « Pour démolir la Prusse, il faut l'avilir, n et il remplit ce programme à la lettre.
Frédéric-Guillaume s'était engagé dans deux affaires très épi- neuses. Pour s'assurer la faveur du parti libéral, son seul appui en Allemagne, il soutenait les insurgés du Holstein, qui voulaient en- lever le SIesvig au Danemark, et dans la Hesse il encourageait le peuple, qui avait chassé l'électeAr et son ministre exécré, Uas- senpQug. L'Autriche prit aussitôt la défense des souverains et se posa en restaurateur de l'ordre. Tous les princes l'ayant suivie & Francfort, la Prusse se trouva réduite à. un complet isolement. Schwarzenberg exigea impérieusement que Frédéric-Guillaume re- tirât ses troupes des duchés de l'Elbe et de la Hesse : c'était lui imposer la plus honteuse reculade. Que fûre en présence de ces humiliantes exigences? Le roi était indécis et malheureux; il prit un moment le parti de la résistance. A l'ouverture des chambres, il prononce un discours belliqueux et appelle M. de Radowitz au mi- nistère. L'armée est mise sur pied de guerre et la landwehr convo- quée; un souflle guerrier soulève le pays : il se croit revenu aux jours glorieux de Frédéric II; mais Schwarzenberg resserre son
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alliaDce avec la Bavière et réunit sur les frontières de la Hesse une formidable armée de 180,000 hommes ^vec une promptitude qui étonna l'Europe et qui révéla pour la première fois les profonds changemens que l'emploi des chemins de fer avait introduits dans la stratégie. La guerre semblait inévitable. Le prince de Prusse, le roi actuel, la voulait, et même le parti conservateur était entraîné. Déjà, le 8 novembre, des coups de fusil sont échangés entre les avant-postes. Pour en finir, l'envoyé autrichien, H. de Prokesch, le 26 novembre, somme la Prusse d'avoir à évacuer la Hesse dans les vingt-quatre heures. A ce moment suprême, le roi recula de nouveau devant la responsabilité d'une lutte entre Allemands. Il céda; U. de Radowitz fut renvoyé, et le nouveau ministre, H. de UanteufTel, se précipita jusqu'à Olmutz pour subir la dure loi de Schwarzenberg. La Prusse était obligée de sacrifier ses alliés du Slesvig et de la Hesse et de reconnaître l'autorité de la diète, où sa , rivale régnait souverainement. Pour mettre le comble à l'humilia- lion de son adversaire couché à ses pieds, l'orgueilleux ministre autrichien publia le 7 décembre une dépêche où, d'un ton hautain, il prononçait l'oraison funèbre des tentatives avortées de Frédéric- Guillaume et se vantEÛt d'avoir rétabli l'ordre en Allemagne.
Ce sont, on le voit, les mêmes péripéties que celles de l'an dernier, seulement les rôles sont renversés. C'est l'Autriche qui av^t alors son Bismarck. Elle devait d'ailleurs l'emporter, car elle était soutenue par ce violent courant de réaction qui en ce moment entraînait tout en Europe, tandis que la Prusse s'accrochait en dés- espérée aux épaves de 1848. Pour réussir en politique, il faut sa- voir nettement ce qu'on veut, ne poursuivre que le possible, et surtout ne rien vouloir de contradictoire. Si Frédéric-Guillaume visait à unifier l'Allemagne malgré ses princes, œuvre éminemment révolutionnaire, il devait s'allier franchement à la révolution en Hongrie, en Italie, et renverser l'état conservateur par excellence au moment où il était.aux prises avec ses sujets soulevés, sinon il fallait se tenir coi et rester dans l'ornière. On s'est aperçu depuis que la leçon n'a pas été perdue. La journée d'Olmutz est une date mémorable : elle se grava dans le cœur de la Prusse, de l'armée Kirtout, comme un souvenir de pusillanimité honteuse et d'impuis- sance ridicule. C'était pour la monarchie militaire de Frédéric H une flétrissure dont elle n'a cessé de rêver sourdement la vengeance. C'est sans doute à partir de ce jour que le roi actuel conçut le pro- jet de fortifier l'armée. Sadowa n'a été que la revanche d'OlmuU.
L'Autriche triomphait; elle se crut toute-puissante. Aux labo- rieuses conférences de Dresde, elle reprit l'idée de la grande Alle- magne, et demanda de nouveau à entrer dans la confédération avec Ton mil. - 1M7. , 2
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tous ses peuples. Ce projet grandiose échoua devant la résistance décidée des puissances étrangères (1) et même des petits états, qui ne voulaient point que l'Autriche, pas plus que la Prusse, acquit une prépondérance absolue. L'Allemagne fut donc ramenée malgré elle au régime que la sainte-alliance lui avait imposé en 1815, De tant d'efforts, de tant d'espérances, de tant de projets de réforme, il ne restait rien qu'un grand découragement et une irritation pro- fonde. Chaque élan vers l'unité produisait une désunion plus grande. Les Allemands, avait dit Borne, ne savent que souffrir ensemble, ils ne savent point agir en commun. L'ironie dédaigneuse des con- servateurs victorieux irritait encore la plaie vive de la nation. « L'unité allemande, disait une brochure autrichienne qui fit beau- coup de brait à cette époque, c'est la quadrature du cercle ; quand on croit la saisir, c'est alors qu'on la reconnatt impossible. Elle ressemble à nos cathédrales, il n'y en a pas une de finie. »
Malgi'é tous ces ûiécomptes, le sentiment national persista. Il reçut comme un choc électrique au 2 décembre 1861. L'Allemagne ne put se défendre d'une vive inquiétude en voyant la résurrecdon de la dynastie napoléonienne entourée de cette auréole de gloire mi- litaire acquise jadis sur tant de champs de bataille allemands. En 1859, quand l'empereur Napoléon, passantles Alpes, souleva l'Italie, ses paroles trouvèrent de l'écho au-delà du Rhin et y déchaînèrent le mouvement unitaire. Les souverains, surtout la Bavière ultramon- laine, songèrent à s'allier à l'Autriche contre la France. Les libé- raux au contraire bénissaient l'intervention française, parce qu'en brisant l'Autriche elle détruisait l'obstacle qui rendait l'unité im- possible. Les démocrates allèrent même jusqu'à convier la Prusse à profiter du moment pour unifier l'Allemagne (2). C'est de celle époque que date la fameuse association du Piatioml-Verein, qui se donna pour mission d'amener ce résultat.
Jusqu'à la guerre d'Italie, le mouvement unitaire avait été comme
(I) L'envoyé français boron Brenier, dans une dépêche remarquable, a'opptBW éner- giquenicnt k ce projet.
(S) La chef de la démocratie locialiste, Laaalle, publia alors nae brochure ioiituléo : La guerre d'Ilalû et la mission de la Prusse {Der ilaliffnticAe Krieg mut die Axifgabe Preustent). Jl y disait : > La guerre de l'Italie n'est pas seulement sancliflée par tons lea principes do la démocratie, elle est un avantage énonne pour l'Allemagne. Elle lui apporte le salut. Napoléon 111, en confiant par la proclamation tes Italiens à chasser les Autrichiens de la péninsule, accomplit une mission allemande : il renverse l'Au- triclie, l'éternel obstacle qui s'est opposé k l'unité de notre patrie. Si I» carte de l'Eu- rope est refaite au nom des nationalités dans le sud, appliquons le même principe an nord. Que la Prusse agisse sans hésiter, sinon elle aura donné la preuve que la monar- chie est incapable d'une action nationale, n M. de Bismarck, si longtemps le chef et lo Çpe dos conservateurs, n'a fait qu'eiécutor le programme du révolutionnaire Lasalle.
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L ALLEU&GKE DEPUIS LA GDERRE. 19
OD rève entretenu par les souvenirs de l'antique grandeur germa- nique. Les fanatiques de cette idée, remontant à Arminius et à la dérùte de Varus, vantùent les institutions du saint-empire. On aurût dit qu'Us attendaient que l'immortel Barberousse sortit de son tombeau pour restituer à son peuple le sceptre du monde. Après que la guerre eut effleuré les frontiëres de la confédération, des vaes plus pratiques se répandirent : ta crainte d'être entraîné dans la mêlée sans moyens suffisans de se défendre et sans une organisa- tion solide ût qu'on se retourna de nouveau vers la Prusse, qui offrait une force respectable, et qui pouvait servir de point d'appui à l'état fédéral qu'il s'agissait de constituer. La diète ne soulevait que des sentimens de haine, de défiance ou de dédain. On se souvenait que Mettemich s'en étfdt servi pendant trente ans pour étouffer tout progrès vers la liberté, et depuis qu'elle avait été rétablie p^ l'Au- triche, on la savait trop feîble pour contenir l'antagonisme des deux grandes puissances qui se disputaient la suprématie en Allemagne. La conviction qu'il fallut une réforme devint si univei^elle que les princes eux-mêmes se mirent à l'œuvre pour chercher de nouvelles combinùsoDS constitutionnelles. En 1860, le duc de Saxe-Meiningen proposa le système de la « triade » {(rias-idee) : pour arriver à plus d'unité et de force dans l'action, la confédération aurait eu trois di- recteurs, un nommé par la Prusse, un autre par l'Autriche, un troi- àëme par les petits états. En 1861, le duc de Saxe-Cobourg lança l'idée d'une représentation générale du peuple allemand; il fut hué comme un révolutionnaire.-La même année, M. de Beust, alors pre- mier ministre en Saxe, répliqua en reprenant pour son compte le système de la triade, mais en le rendant beaucoup plus compliqué encore. M. de Bemstorff, ministre prussien, profita du moment pour remettre au jour le programme d'Erfurt. Enfin l'empereur d'Au- triche, dans la faftieuse journée des princes à Francfort, communi- qua un projet évidemment supérieur à tous les autres, attendu que le pouvoir aunùt été exercé par quatre assemblées superposées. Les souverains allemands auraient dû pourtant se rappeler la fable du dragon aux sept têtes, composée précisément à l'occasion de l'empire germanique. Le peuple, lui, voulait précisément arriver à ne plus en garder qu'une; mais tout projet de réforme devait néces- sùrement se briser contre le veto soit de la Prusse, soit de l'Autriche, soit des petits états, suivant qu'il favorisât l'une ou l'autre des puissances rivales. Une organisation condamnée par tous ne pouvait être améliorée par personne, parce que nul ne voulût aliéner une parcelle de son indépendance. La situation était donc sans issue, pacifique du moins. La pauvre Allemagne ressemblât beaucoup à , un homme ^aré dans im marais qui ne tire une jambe de la vase
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SO HEVUE DES DEUX MONDES.
([ue pour y enfoncer plus profondément l'autre. Ainsi le mouvement unitaire devenant plus impatient et plus universel à mesure que l'horizon de l'Europe se couvre de nuages plus raeuaçans, l'Au- triche remise de ses défaites et faisant sentir partout le poids de son autorité reconquise, la Prusse isolée, dévorée d'ambition, sombre, n'oubliant ni sa h mission historique, » ni sa blessure d'Olmutz toujours saignante, mais comme Sparte se transformant en un